Wednesday, September 08, 2010
A thousand blessings
C'était le dernier coucher du soleil avant le mois qu'on sait. Toute la ville s'est donnée rendez-vous pour faire ses adieux momentanés en bonne et due forme. Mauvais plan. Mes pieds ont peiné à trouver du sable dénué d'une présence humaine. Mes yeux voyaient un peuplement d'olives sur la plage. Je retenais mon souffle: c'est seulement dans ce pays que je trouve que les gens puent à la plage.
Pour nous faire souffrir encore plus, l'eau s'est faite douce, si douce. Pas tellement fraiche. Pas grave. J'ai fait la planche, longtemps, essayant de garder mes oreilles sous l'eau, pour pas entendre le reste. J'ouvre les yeux, c'est bleu, c'est jaune, c'est pâle, c'est foncé, c'est brumeux, c'est clair. Le croissant au beurre noir pointe son nez. Plouf.
Il faut toujours une restriction pour donner toute sa valeur aux choses. J'aurais dû descendre sur la plage plus souvent. J'aurais pu descendre plus souvent. Chaque année, c'est le même refrain. Et les mêmes oreilles tirables à souhait.
Et puis l'horloge a couru. Des nuits insomniaques se sont succédées. Une maman un peu trop poule nous a nourris avec nos yeux collés de dodo. Des journées de glandage ont honteusement été comptabilisées comme des journées de travail. Des voyages en train ont été faits dans la somnolence. Des repas ont été pris dans la gloutonnerie totale. Des plaintes quotidiennes ont été répétées: soif, soif, sommeil. Des chichis superflus, pour sortir le pus de nos faiblesses présumées.
Finalement, ce mois a été celui de toutes les Barakas. Comme l'avait prédit ma chouafa préférée. Se réveiller au sobh pour une dose d'amour en est la première.
Et bientôt, demain, une nouvelle inauguration de l'été, une renaissance, un autre début, le bonheur des choses qui ont une valeur.
Vraiment, vive Rebbi.
Wednesday, June 30, 2010
Douar Scouila
Faut me comprendre: je traîne une longue journée de GRrrr et de ARGHHH durant laquelle je me suis retenue ô combien de fois de ne pas crier, de ne pas frapper, de ne pas exploser, de garder la foi. Je dois encore me taper la jolie virée dans le joli train tout blanc. J'arrive à cette charmante gare de Skhirat et voilà que je dois endurer la vue d'ados qui me remplissent de désespoir quant à l'avenir de ce pays. Le problème, c'est que je n'exagère même pas. Ou si j'exagère, c'est que mon pays a bien changé en 12 ans.
Flashback. Le collège/lycée dans lequel j'ai grandi ressemblait à une prison, que ce soit par le bâtiment ou par l'administration. On avait une peur bleue de Si Lmfaddel, le recteur. Nos tabliers étaient boutonnés jusqu'au menton, nos manches bien longues, nos chaussures bien propres, nos jupes jusqu'aux chevilles, notre respect pour les profs, pour l'établissement, infini. On ne savait pas ce que ça voulait dire, traîner devant la porte (jvous jure, les zamis peuvent témoigner). Dar, lmadrassa, w salam. On avait deux heures de libre? Nous voilà à la bibliothèque à faire des adaptations de pièces de théâtre, à lire dans le calme, à faire nos devoirs une seconde après avoir quitté le cours. Le reste du temps, basket, volley, etc.
Le jour où j'ai été "suspendue" de l'école, avec un groupe d'amies -devenues toutes de brillantes ingénieures- c'était car on s'étaient permises de jouer aux cartes dans l'enceinte du lycée (dans la jrida, gentiment et sans bruit). Nous avions pleuré comme des madeleines d'être des fauteuses. En classe, c'était les jeux olympiques. S'il y avait une ou deux kassoulas, c'était une erreur de la nature, elles étaient les meskinates. C'était un problème génétique, ou familial, un divorce, une mort ou quelque chose comme ça. Mes camarades étaient des filles exceptionnelles, autant en physique-chimie qu'en tarbiya nisswiya.
Aujourd'hui, c'est à peine si on ne m'agresse pas à la porte de ces lycées. Les chabab, filles et garçons, se jettent dessus, se lancent des pierres et des mots encore plus nocifs que des pierres. On porte des choses de volumes bizarres, les tabliers sont plus courts que les tee-shirts. Le maquillage ne peut être que bleu ou rouge, les lunettes de soleil jamais sur les yeux mais sur les cheveux, les jeans à une taille en dessous, minimum, garçons compris. Même l'invention appelée cartable n'a plus sa place, la "trousse", je me le demande. Suis vieux jeux, que voulez-vous. Mais ce sont les paroles qui m'assassinent sans pitié. La darija -appelez ARB!- se tient dans leurs palais, sur des béquilles. Les mots sont étranges, les insultes omniprésentes, le contenu inexistant, fa ma balouka bil arabe et français, les deux langues étrangères étudiées. J'essaie d'imaginer quels métiers ils pourraient exercer plus tard, de quels métiers ils rêvent, à part d'être les Alejandro et Peregrina de la future série de 18h. Je vois pas. Piloter des avions? Inventer des vaccins? Militer pour les droits de l'homme? Devenir des athlètes de haut niveau? Devenir des parents de haut niveau? Planter la terre? Mouahahaha (dixit Mimi).
Là, ils auront plusieurs mois de vacants pour apprendre la darija devant la télé et essayer les couleurs des mèches de Maria Mercedes. Mais je parie que les plus contents, ce ne sont pas les élèves, ce sont les profs. Heureux d'être dispensés de certaines têtes pour quelques mois. Débarassés, non, car ils seront de retour, les redoublants. Les autres, les qerraya, cacheront soigneusement leurs relevés de notes à leurs potes, pour pas être exclus du cercle social, comme si c'était devenu une insulte d'être bosseur.
Derrière le dos de tous, des parents dépassés viendront supplier l'agent de sécurité de percer le mur administratif pour eux pour s'enquérir des résultats du petit dernier. Des fonctionnaires peu scrupuleux prendront le temps de voir les relevés de notes, surtout ceux de ceux qui ont réussi. Ils iront frapper aux portes des uns et des autres, annoncant, le visage fermé, qu'ils ont échoué à leurs examens, mais promettant qu'"il y a un espoir", pour récolter quelques billets de la dernière chance, congé oblige.
Gai, Gai, l'écolier...!
Wednesday, June 16, 2010
Aïe technology
J'ai l'impression d'étouffer dans ce Maroc. Ce sentiment est constant, quel que soit l'endroit, la ville, l'occasion.
Ces dix derniers jours, je couvrais le festival de Fès des musiques sacrées. Pareil: peu de plaisir avec les spectacles. L'irritation habituelle aux égards zélés donnés à certains, surtout ceux avec des passeports bordeaux, des égards souvent injustifiés pour certains. La colère de l'amateurisme avec lequel sont gérés tellement d'éléments, dont la sécurité. L'abjection de certains comportements d'un personnel sensé vous faciliter la vie. Le désespoir de voir tant de misère, dans la médina surtout. La vue de tant de vieillards -aveugles, handicapés, séniles- qui devraient être sur les Champs-Elysées fassis à siroter un jus d'orange bien frais, pliés en deux à balayer les rues, vendre des souvenirs -au mieux- ou à mendier péniblement, m'ôte le charme de toute ballade. Ce pays baigne dans la misère. Si elle n'est pas matérielle, elle est humaine, intellectuelle.
Même dans un pays comme l'Ouganda, j'ai été complexée de voir que chaque pâté de cabanes avait son école primaire ET son collège, que des crèches existaient à chaque coin de rue, que le service dans les hôtels et les restaurants était irréprochable, parfait.
Bien entendu, chaque pays a ses problèmes, ses points forts, je ne dis pas le contraire. Mais un Maroc sans misère et avec plus d'enfants dans des écoles comme il faut, qu'est ce que ce serait bien...Avec ou sans festivals cinq étoiles.
Tuesday, March 02, 2010
Match amical
Ce matin, dans le train, je l'ai encore vu. J'étais penchée sur mon bouquin, sponsorisée par la précieuse, l'irremplaçable Sun Li, j'étais bercée par Jobim et Sinatra, l'estomac calé par un ptit-déj inhabituel. Et là, à travers les notes bossa, j'entends le grincement de la porte du wagon. L'hippopotame, dans son costard gris et ses lunettes carrées, avançait vers un des sièges. Lentement, il disparut de mon champ de vision.
Il y a un mois, je monte dans le train, bondé comme d'habitude. Je m'assois au premier fauteuil libre que je trouve, face à deux gentlemen. Le passager de droite, costume gris, chemise blanche, me fait vraiment penser à un hippopotame (apologies to hipos). Tout en lui est volumineux, sa voix est grasse, sa bouche bleue, son regard -assurément séduisant- caché par des lunettes de soleil carrées et complètement opaques. L'homme de gauche, lunettes de vue, chaussures crocos et écharpe stylée, on l'appellera le crocodile, aka Timssa7.
Je me plongeai dans je ne sais quel canard-qui-salit-les-mains, mais la discussion de mes voisins ne tarda pas à me déconcentrer complètement. C'est que les deux compères font tout pour se faire entendre du conducteur du train.
"Bla bla foot bla bla voyage bla bla souvenirs excellents bla bla". J'ai arrêté de lire. Je les ai fixés. J'ai écouté.
Hippo: Ah un match qu'on avait regardé dans un pub irlandais à Londres. Manchester contre Liverpool. Chaque fois que Manchester marquait, on explosait de joie. Chaque fois que Liverpool marquait, re-explosion de joie. Ils ont rien compris. C'était génial!
Croco: Ah j'adore Londres, le shopping, l'ambiance, quelle ville extraordinaire. Je reste toujours au même hôtel; une pension sympathique, décorée avec des bougainvillées.
Hippo: Ah non, faut que je te file l'adresse de mon hôtel, le vrai luxe à 180 £, une merveille! Quelle déco, quel emplacement. Laisse tomber ta petite pension a sahbi!
Moi, Londres, ghadi maji liha, je dois y être allé chi 60 fois. L'Algérie aussi 60 fois.
Croco: Ah non, moi pas à ce point, mais j'y vais dès que je peux.
Hippo: Mais tu devrais y aller plus souvent a sahbi, pour lézaffaires. Ton domaine, les réseaux, c'est en pleine expansion. Y a plein de salons.
Croco: Vrai, vrai...
Et là, Croco se voit perdre 0 à 1 face à Hardy. Alors il tente de se plonger dans le premier quotidien économique du royaume. Page 3: un article sur la marina de Casa. Trop belle l'occase, pour l'hippo, il bondit de tous ses kilos: "aaaah tu devrais acheter un appart là, 28.000 dirhams le mètre carré, c'est un excellent investissement!".
Croco: Ah non, c'est un peu cher.
Hippo: cher? Capital Invest a pris tout un immeuble, peut-être même deux! N'hésite pas, prends!
Croco: wa prends-le, toi.
Hippo: Ah non, moi ma priorité maintenant, c'est la maison de plage. Je viens enfin de trouver le terrain de mes rêves, à Bouznika. Entre deux villas, la première à 6 milliards et la seconde à 7 milliards. Entre les deux, face à la mer: ma future baraque.
Croco est à 0 à 2. Il tente de se ressaisir: Tu n'es pas venu voir ma maison! Je l'ai complètement transformée. J'ai ramené une architecte dont j'avais vu les travaux dans un magazine. J'ai réussi à la joindre. Je suis le premier particulier avec qui elle ait accepté de bosser! Le résultat est simple et sublime!
Hippo : moi aussi j’ai fait refaire ma maison, figure-toi. Et j’ai laissé l’architecte s’occuper même de la déco. Car je me suis dit : si elle l’a imaginée vide, c’est qu’elle doit l’avoir imaginée pleine ! C’est toi qui dois passer me voir d’abord !
Croco : Je passerai inchallah.
3 à 0.
Je me disais que c’était la fin du match. Que nenni. Voilà l’hippo qui rebondit en parlant du nord. « Tu te souviens quand je t’ai croisé à Marina, l’été dernier ? Tu m’avais dit que tu allais passer, tu n’es jamais venu, tu as eu tort ! Ma maison était incroyable. Le golf, la mer, chez moi !
Croco : Wa je n’étais qu’en escale, je suis parti le lendemain pour Puerto Banus, je logeais les pieds dans l’eau, face au port. C’était extraordinaire !
Hippo : c’est trop plein Marbella, je préfère ne plus y mettre les pieds.
Et là, pour la première fois, j’étais heureuse d’entendre la voix délicate annonçant la charmante gare d’Aïn Sbaa. Je pris mes cliques. Croco me lança un : « صدعناك شويا آ لالة؟ »