Tuesday, February 27, 2018
Sunday, February 25, 2018
Almost spring
A quoi tu as pensé dans l'avion? Pour une fois que tu étais seule, pour une fois qu'il n'y avait pas le téléphone, whatsapp, Telegram, les infos du monde, les tragédies syriennes, les podcasts de France Culture, la copine, le confrère qui veut absolument te parler de Bouachrine, d'Akhannouch, du Sahara?
T'as trouvé un chewing gum collé sous l'armature de ton siège? Et cet édito du magazine RAM? Moi j'y peux rien, il me fait jamais décoller.
T'as dormi, j'espère. Moi jamais. Alors que Hind K. dort sur le Casa-Essaouira, moi je meurs de jalousie. Moi, mon truc, c'est de pleurer dans l'avion, systématiquement tous les avions, à toutes les destinations, mêmes celles du soleil, du bien-être, des bronzettes. Dans les airs, c'est comme si toutes les pensées remontaient, en apesanteur. L'avion, la hauteur, le blanc des nuages ou le bleu de l'horizon, c'est le bouton reset, c'est le bilan de la vie, suspendue à un fil. Tous tes ratages te pendent au nez. Pendent au mien, sans issue de secours.
Moi tu me connais, je regarde jamais en arrière. A quoi bon? Ce matin, je suis rentrée dans le marché de poisson qui pue de loin et j'ai repéré des petits sars de toute beauté ma foi. Des sars bons pour la chouaya, comme pour le four. J'étais en semi-pyjama, accompagnée de mon ange-gardienne Nora, je lance au gars de l'étal: bch7al chargho? sur le ton mi-chaabi, mi-professoral qui doit couper court à toute tentative de drague ou même de regard sortant du cadre implicite mais approuvé. Ou pas. "Twehechna Grand Angle", me souffle-t-il. Je suis ahurie. "Je regardais les jeudis, même si c'était en français. Et Reda Benjelloun, il y est encore?".
Je dois avoir passé une heure au marché en fin de compte. Il a insisté pour que j'aille chercher mon téléphone, "pour faire un reportage" et prendre son numéro. On a fait une vingtaine de prises dont la candeur me fait encore sourire chaque fois que je revois les vidéos. On a exploré les espèces de poisson, saisi des homards que j'aurais bien tous ramenés chez moi. On a parlé, de Skhirat, de l'enfance, de mon frère, de la vie. Sa mémoire a retenu des séquences de reportages, qui l'ont fait voyager, et sentir parfois que sa situation était meilleure que celle de ses concitoyens qu'il voyait à l'écran. J'ai pas vraiment trouvé les mots pour répondre à sa curiosité sur le pourquoi, comment expliquer qu'on perde la foi à propos de ce métier, qu'on a choisi parce que noble, parce que beau, parce que utile. Mais c'était une autre vie, une autre époque de laquelle 2018 nous semblait bien loin. D'ici là, on se disait, on aura accompli tant de choses. On aura coupé le cordon, tous les cordons. On perdra la naïveté, on gardera la sensibilité, l'émerveillement. On sera indignés par toutes les injustices du monde. On sera importants et entendus. On n'écrira plus sur les blogs, on aura écrit des livres. On sera solides, matures, enfin adultes. On sera l'opposé de cet hier, qui nous a filés entre les doigts, en nous faisant rêver d'un demain toujours meilleur.
T'as trouvé un chewing gum collé sous l'armature de ton siège? Et cet édito du magazine RAM? Moi j'y peux rien, il me fait jamais décoller.
T'as dormi, j'espère. Moi jamais. Alors que Hind K. dort sur le Casa-Essaouira, moi je meurs de jalousie. Moi, mon truc, c'est de pleurer dans l'avion, systématiquement tous les avions, à toutes les destinations, mêmes celles du soleil, du bien-être, des bronzettes. Dans les airs, c'est comme si toutes les pensées remontaient, en apesanteur. L'avion, la hauteur, le blanc des nuages ou le bleu de l'horizon, c'est le bouton reset, c'est le bilan de la vie, suspendue à un fil. Tous tes ratages te pendent au nez. Pendent au mien, sans issue de secours.
Moi tu me connais, je regarde jamais en arrière. A quoi bon? Ce matin, je suis rentrée dans le marché de poisson qui pue de loin et j'ai repéré des petits sars de toute beauté ma foi. Des sars bons pour la chouaya, comme pour le four. J'étais en semi-pyjama, accompagnée de mon ange-gardienne Nora, je lance au gars de l'étal: bch7al chargho? sur le ton mi-chaabi, mi-professoral qui doit couper court à toute tentative de drague ou même de regard sortant du cadre implicite mais approuvé. Ou pas. "Twehechna Grand Angle", me souffle-t-il. Je suis ahurie. "Je regardais les jeudis, même si c'était en français. Et Reda Benjelloun, il y est encore?".
Je dois avoir passé une heure au marché en fin de compte. Il a insisté pour que j'aille chercher mon téléphone, "pour faire un reportage" et prendre son numéro. On a fait une vingtaine de prises dont la candeur me fait encore sourire chaque fois que je revois les vidéos. On a exploré les espèces de poisson, saisi des homards que j'aurais bien tous ramenés chez moi. On a parlé, de Skhirat, de l'enfance, de mon frère, de la vie. Sa mémoire a retenu des séquences de reportages, qui l'ont fait voyager, et sentir parfois que sa situation était meilleure que celle de ses concitoyens qu'il voyait à l'écran. J'ai pas vraiment trouvé les mots pour répondre à sa curiosité sur le pourquoi, comment expliquer qu'on perde la foi à propos de ce métier, qu'on a choisi parce que noble, parce que beau, parce que utile. Mais c'était une autre vie, une autre époque de laquelle 2018 nous semblait bien loin. D'ici là, on se disait, on aura accompli tant de choses. On aura coupé le cordon, tous les cordons. On perdra la naïveté, on gardera la sensibilité, l'émerveillement. On sera indignés par toutes les injustices du monde. On sera importants et entendus. On n'écrira plus sur les blogs, on aura écrit des livres. On sera solides, matures, enfin adultes. On sera l'opposé de cet hier, qui nous a filés entre les doigts, en nous faisant rêver d'un demain toujours meilleur.
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