Tuesday, February 27, 2018
Sunday, February 25, 2018
Almost spring
T'as trouvé un chewing gum collé sous l'armature de ton siège? Et cet édito du magazine RAM? Moi j'y peux rien, il me fait jamais décoller.
T'as dormi, j'espère. Moi jamais. Alors que Hind K. dort sur le Casa-Essaouira, moi je meurs de jalousie. Moi, mon truc, c'est de pleurer dans l'avion, systématiquement tous les avions, à toutes les destinations, mêmes celles du soleil, du bien-être, des bronzettes. Dans les airs, c'est comme si toutes les pensées remontaient, en apesanteur. L'avion, la hauteur, le blanc des nuages ou le bleu de l'horizon, c'est le bouton reset, c'est le bilan de la vie, suspendue à un fil. Tous tes ratages te pendent au nez. Pendent au mien, sans issue de secours.
Moi tu me connais, je regarde jamais en arrière. A quoi bon? Ce matin, je suis rentrée dans le marché de poisson qui pue de loin et j'ai repéré des petits sars de toute beauté ma foi. Des sars bons pour la chouaya, comme pour le four. J'étais en semi-pyjama, accompagnée de mon ange-gardienne Nora, je lance au gars de l'étal: bch7al chargho? sur le ton mi-chaabi, mi-professoral qui doit couper court à toute tentative de drague ou même de regard sortant du cadre implicite mais approuvé. Ou pas. "Twehechna Grand Angle", me souffle-t-il. Je suis ahurie. "Je regardais les jeudis, même si c'était en français. Et Reda Benjelloun, il y est encore?".
Je dois avoir passé une heure au marché en fin de compte. Il a insisté pour que j'aille chercher mon téléphone, "pour faire un reportage" et prendre son numéro. On a fait une vingtaine de prises dont la candeur me fait encore sourire chaque fois que je revois les vidéos. On a exploré les espèces de poisson, saisi des homards que j'aurais bien tous ramenés chez moi. On a parlé, de Skhirat, de l'enfance, de mon frère, de la vie. Sa mémoire a retenu des séquences de reportages, qui l'ont fait voyager, et sentir parfois que sa situation était meilleure que celle de ses concitoyens qu'il voyait à l'écran. J'ai pas vraiment trouvé les mots pour répondre à sa curiosité sur le pourquoi, comment expliquer qu'on perde la foi à propos de ce métier, qu'on a choisi parce que noble, parce que beau, parce que utile. Mais c'était une autre vie, une autre époque de laquelle 2018 nous semblait bien loin. D'ici là, on se disait, on aura accompli tant de choses. On aura coupé le cordon, tous les cordons. On perdra la naïveté, on gardera la sensibilité, l'émerveillement. On sera indignés par toutes les injustices du monde. On sera importants et entendus. On n'écrira plus sur les blogs, on aura écrit des livres. On sera solides, matures, enfin adultes. On sera l'opposé de cet hier, qui nous a filés entre les doigts, en nous faisant rêver d'un demain toujours meilleur.
Tuesday, January 27, 2015
Des trophées et des hommes
Les gars de la sécurité, restés bloqués dans une autre ère, celle des tentes caïdales probablement, n'ont pas accepté ma e-invitation, pourtant identique en texte, en couleurs et en formes au carton-modèle qu'ils tenaient en main.
Je dépasse le lieu du cocktail VIP de bienvenue où ça networke à mort. A une demi-heure de l'heure du début des festivités, il n'y a que moi dans la salle de la fiesta. Moi, l'orchestre blasé et trois gars chauves et semi-chauves du comité d'organisation. Ca gueule, ça gesticule et ça s'éponge le crâne.
La maitresse de cérémonie arrive dans un caftan de circonstance. Le chauve-en-chef lui explique ce qu'on attend d'elle en trente secondes et s'énerve que le résultat ne soit pas à la hauteur de ses attentes.
Deux "jeunes leaders" en ceintures griffées et en pantalons très très slim s'affairent sur le seating du premier rang, satisfaction aux lèvres. J'ai la nausée de penser que demain, peut-être, ils seront ministres. D'ici-là, mon nom sera sorti dans la loterie de la greencard, j'espère.
Bientôt on fera entrer des groupes de mal fagotés, il est écrit sur leurs visages qu'ils ne sont pas VIP, qu'on leur a donné une invitation collective, pour faire des économies sur les cartons. Certainement des familles de gens qu'on a perdu en cours de chemin. Et il fallait bien..
Une fois les gueux installés, les VIPs entrent en petits groupes, précédés et suivis par un cortège de photographes en manque d'événements.
Quelques VVIP (very very) sont encore dans le couloir, genre on a des transactions d'un milliard de dollars à boucler là, tout de suite, et on ne peut pas rentrer. Je suis pendue au téléphone. Je me fais apostropher gentiment par un ancien ami de la presse devenu je ne sais pas trop quoi aujourd'hui. Il me présente son ami, un ponte de la jaliya de Paris. Très vite, il me demande si je suis Charlie. Comme si j'allais dire à un inconnu ce qu'il veut entendre. Il est trop resté en France. Il ne sait pas qu'au Maroc, on te dit tout ce que tu veux, sauf ce qu'on pense exactement. J'ai esquivé maladroitement. La soirée a commencé. La maitresse de cérémonie s'est emmêlée les pinceaux, comme prévu. On a rendu hommage à des morts. Un gars de la famille d'un mort a prononcé un discours sur ses valeurs. Je me souvenais de ce gars qui était supposé être mon collègue là où je bossais, sauf qu'il n'est jamais venu, même si son salaire atterrissait dans son compte en banque.
Puis on a rendu hommage à des gars qui avaient pas besoin de nos hommages.
Puis on a rendu hommage à une Soulaliya pour son combat. Sa famille a applaudi très fort. Et elle, sincèrement émue, était heureuse de serrer son trophée contre elle. Et moi je lui souhaitais pas d'hommage. Je lui souhaitais juste d'avoir sa terre à elle, son dû. Qu'on lui raconte pas de bobards. Qu'on se raconte pas de bobards.
Je sors prendre l'air et me retrouve enfermée dans les toilettes car le palace 5* ne répare pas les poignées de ses portes. Je suis sauvée par une gueule d'ange aux escarpins très hauts et très chers (je les ai vus dans L'Officiel et chez Bella pelle). Son prénom me dit quelque chose. Vous êtes...? que je m'entends lui demander, en ex-journaliste. Oui oui, écarquilla-t-elle les yeux mascarés. Vous avez entendu parler de moi? J'aime bien ces petites phrases qui vous renseignent sur l'autre dès l'étape du prénom. Trois minutes plus tard, nous étions amies sur facebook, on a fait un selfie dans le miroir des grandes toilettes et je la confiai à un politicien en soif de come-back qui la dévorait toute crue des yeux.
Je retournai à côté de mon amie militante culturelle. Je compatis à sa persévérance et à son combat même si j'ai envie de pleurer au résultat quantitatif de l'assistance, insensible à la qualité des rencontres.
C'est le brouillard dans ma tête pour la fin de la soirée. On s'est éclipsées à la photo de groupe finale. Les photographes et l'assistance se sont rués sur des petits fours qui arboraient une imitation réussie du foie-gras, performée par du thon mais facturés au prix du caviar.
On est harcelées par un des photographes pour "acquérir" un CD avec les photos de la soirée. Si ça vous intéresse, j'ai tout pour vous: des gloires nationales, une présentatrice encaftanée, des journalistes -enfin- makhzénizés et même des futurs ministres. Un beau diaporama du présent...et de l'avenir.
Monday, December 15, 2014
Blue grass
Toujours ce poids au-dessus de ma tête. La dernière dans la file d'attente. Le train en retard le jour d'un rendez-vous. Pas le temps pour un brushing le jour de LA réunion importante. Un bouton de fièvre monstrueux le jour de mon mariage. Un tonnerre d'enfer et le déluge le jour de mon mariage, d'ailleurs. Une grève au tribunal le jour de mon mariage, d'ailleurs. La cinquantième patiente chez le médecin. Pas la gueule à sympathiser avec l'assistante ni à la soudoyer. Il doit bien y avoir un truc contre ça. Lire ayate al kourssi 77 fois. Ou al mou3widatayn au réveil et au coucher 33 fois. Ou se verser du sel sur la tête. Ou adopter le feng shui. Ou chebba et al 7armel dans le zip du Fendi jaune canari. Quelque chose pour changer le karma. Pour se sentir fab. Pour ne plus couiner et pleurnicher. C'est bon de dire qu'on n'a pas de chance. C'est rassurant de dire qu'on mérite mieux. Qu'on mérite plus. Hein que je mérite mieux? Que je mérite plus? Ceux qui t'aiment te diront que oui. Voilà la définition de quelqu'un qui vous aime: quelqu'un qui est bien d'accord que vous ayez plus. Ben oui! Légitime, signé, légalisé, approuvé, encouragé. Le beurre, l'argent du beurre et tout ce que vous voulez en supplément. Des cristaux de sel. Du tabasco. Du beurre de cacahuètes. All yours.
Réflexion faite, ce n'est pas le moment de changer, d'être positive. D'être reconnaissante. D'être sensée. Car sinon, que vendrait-on de soi? Comment justifierait-on un blues, une cigarette sur le balcon, une rage irraisonnée et permanente, une gorgée de Gazelle, un besoin de câlins sans occasion, un hangout du bout de la nuit, un billet acheté à la dernière minute, des mensonges mi-blancs mi-raisin, tous les tons de gris qui font que cet hiver, c'est l'étanchéité de nos coeurs qu'on devrait refaire.
Sunday, November 30, 2014
Naouras
Il a fait le meilleur berrad d'atay du monde. Ce berrad faisait office de bouquet de roses, d'accueil VIP, de sign back, de ronron de chaton. Je fonds en ce chocolat.
La palette chromatique de la route n'a dépassé le blanc-gris que pour m'enfoncer dans le terre.
Il est loin le ciel dakarois, les mains moites, les 4 douches par jour, le banc devant la mer.
Il paraît que le poisson du Sénégal est plus tasty que le nôtre. Je ne saurais ni confirmer ni infirmer cette supposition. Je ne saurais qu'affirmer le manque d'appétit qui a prévalu. La faim qui ne part pas en mangeant. Le besoin du berrad d'atay.
On trouve pas les mots quand on a besoin d'eux.
Je suis fascinée par l'attitude de la personne en groupe. On a peu de temps, alors il faut se vendre. Il faut dire, avec peu. Alors on a soigneusement sélectionné ce qu'on allait dire, on l'a enrobé dans de la pseudo-spontanéité maintes fois répétée. On a donné juste assez pour attiser cette curiosité somme toute factice.
On a sauté dans des taxis, on a marchandé pour 1 dirham, on a mangé de la pastèque dans la rue, on a dormi dans des transats dans une marina désertée, on a donné le suc de notre moelle en trois mots, juste assez pour classer, acquiescer, comprendre, aboutir à un sourire, de l'empathie ou de l'indifférence.
On a gardé sur soi, les empreintes des uns et des autres, passagères ou indélébiles, qui réchauffent un jour de pluie.
Saturday, November 29, 2014
FMDH: Vu, entendu, ressenti
Ce matin, j'ai reçu le lever de soleil sur les montagnes de Marrakech comme une claque dans la gueule. C'est qu'on se rend pas compte quand notre cerveau est engourdi par des mois de conneries.
La beauté, la beauté ça vous fait vous sentir tout petit.
Avec le tailleur, j'ai gardé les chaussures que je porte d'habitude au ski. Je suis la seule non-badgée du troupeau. Le froid te réveille et t'anesthésie. La salle est énorme. Car on ne sait pas se parler entre nous. On sait discourir, faire des pastillas pour 20. La salle est énorme, non on ne sait pas se parler entre nous. Elle porte le nom de Kacimi. Je pense à son atelier. Je regarde des djeunes prendre des photos avec l'affiche "droits de l'enfant". Ils sont beaux, ils sont contents, ils font des coeurs avec leurs doigts. Ils ont pas 20 ans, ils ont pas 18 ans, mais ils ont fait le forum mondial. Ils vont écouter d'une demi-oreille, regarder d'un demi-oeil, prendre d'autres photos avec des gars en costard dont le visage leur dit quelque chose. Je sors de Kacimi. Des foules de non-réveillés arrivent par vagues. Un nuage libanais polyglotte me dépasse. Des paires de gens qui ont partagé un combat, une cellule, un bout de chemin traversent. On veut parler des droits de l'enfant. Non, on va aller défendre les femmes contre la violence. Viens on va protéger les droits des personnes âgées. Deux journalistes ne quittent pas un gars qui marche tout seul. Ils le mitraillent de tous les angles. C'était un athlète, une star, un demi-dieu. Aujourd'hui, c'est un ambassadeur de bonne volonté. De beaucoup de bonne volonté.
Marcel Khalife s'avance avec une écharpe bleue autour du cou. Qu'est-ce qu'il a l'air blasé. Et toutes ces femmes qui veulent se prendre en photo avec lui. Et tous ces hommes qui veulent se prendre en photo avec lui et qui le regardent comme des femmes. C'est quelle salle déjà? Celle-ci. Non, celle-là. Il tourne et retourne et derrière lui ce cortège mille-pattes.
Les féministes arrivent. Les malvoyants arrivent. Les nains arrivent. Les gars de la sécurité font semblant. On se prend au sérieux. J'embrasse Kamal Lahbib. J'embrasse la Soulaliya. J'embrasse la Sahraouia. J'embrasse la journaliste. Je descerne le trophée du militant. Marocain; Tunisien. Brésilien. On est dans la compassion. On est dans l'empathie. On est dans la colère. On veut mieux. On veut plus. On tire sur l'organisation. On tire sur le Maroc. On veut bien être invité dans un 5 étoiles mais faut pas trop le dire car on milite. Les journalistes écrivent mais je ne sais pas sur quoi car ils ne sont pas dans les salles. Et ils ne font pas d'interviews. Pourquoi faire?
Il pleut et les gens en chaise roulante doivent se taper toute l'allée. Y a personne pour leur tendre un parapluie. Les malentendants gueulent. On est bien ensemble. On y croit. Et juste ça, ça me suffit.
Thursday, January 05, 2012
Arnakech
Friday, October 28, 2011
Kadhafou, les archives
Mon mépris pour Kadhafi tient également au fait que je l'ai vu en personne. C'était en avril 2004 et je vivais à Bruxelles avec Lamia. On était accréditées aux institutions européennes ce qui nous a permis de vivre des moments intéressants à l'époque, entre autres l'élargissement à 25. Berlusconi, Chirac, Blair, Verhofstadt donnaient des conférences de presse auxquelles on se précipitaient jusque tard dans la nuit.
Un jour, lors du brief quotidien de la commission Prodi, on nous apprend que Kadhafi sera bientôt en visite. Nous étions incrédules. Mais bien sûr, le pétrole (et accessoirement la pêche) augmentent la côte du plus infréquentable des tyrans. La rumeur allait bon train à Bruxelles. On disait que le colonel allait installer sa fameuse tente, sa khaima itinérante, dans le parc du Cinquentenaire. Qu'il ramenait avec lui ses fameuses amazones. Qu'il se déplaçait en convoi extraordinaire et que ça faisait belle lurette qu'il n'avait pas visité l'Europe. Le jour J, la salle était sans surprise comble. Devant nous, un Prodi au summum de l'hypocrisie, qui cherchait ses mots pour exprimer la volonté de l'UE d'instaurer une sorte de coopération avec la Libye, jusque-là inexistante, sans avoir l'air du porte-parole de l'ancienne puissance coloniale. Face à lui, un invité complètement absent. Ou shooté. Kadhafi était vêtu d'une gandoura sable, si je me souviens bien, était mal rasé, avec des cernes jusqu'au menton et était entouré de ses femmes gardes du corps. Il commençait une phrase, promptement traduite par l'interprète puis...rien. Il se passait deux, cinq minutes sans qu'il la termine. Prodi était dans l'embarras le plus pur. Les journalistes pouffaient de rire. C'était une plaisanterie européenne.
Entre reporters du monde entier, deux se firent remarquer pendant la conférence-même. Ils étaient à la recherche de femelle journalistique et glissaient à toutes leurs cartes de visite dans les mains en lançant "come visit us tonight". L'un d'eux était le correspondant d'Al Jazeera à Tripoli. Leurs cartes portaient le nom de leur hôtel et le numéro de chambre. C'était peut-être dans la tradition journalistique libyenne. J'ai un seul regret : ne pas leur avoir craché dessus.
Wednesday, September 08, 2010
A thousand blessings
C'était le dernier coucher du soleil avant le mois qu'on sait. Toute la ville s'est donnée rendez-vous pour faire ses adieux momentanés en bonne et due forme. Mauvais plan. Mes pieds ont peiné à trouver du sable dénué d'une présence humaine. Mes yeux voyaient un peuplement d'olives sur la plage. Je retenais mon souffle: c'est seulement dans ce pays que je trouve que les gens puent à la plage.
Pour nous faire souffrir encore plus, l'eau s'est faite douce, si douce. Pas tellement fraiche. Pas grave. J'ai fait la planche, longtemps, essayant de garder mes oreilles sous l'eau, pour pas entendre le reste. J'ouvre les yeux, c'est bleu, c'est jaune, c'est pâle, c'est foncé, c'est brumeux, c'est clair. Le croissant au beurre noir pointe son nez. Plouf.
Il faut toujours une restriction pour donner toute sa valeur aux choses. J'aurais dû descendre sur la plage plus souvent. J'aurais pu descendre plus souvent. Chaque année, c'est le même refrain. Et les mêmes oreilles tirables à souhait.
Et puis l'horloge a couru. Des nuits insomniaques se sont succédées. Une maman un peu trop poule nous a nourris avec nos yeux collés de dodo. Des journées de glandage ont honteusement été comptabilisées comme des journées de travail. Des voyages en train ont été faits dans la somnolence. Des repas ont été pris dans la gloutonnerie totale. Des plaintes quotidiennes ont été répétées: soif, soif, sommeil. Des chichis superflus, pour sortir le pus de nos faiblesses présumées.
Finalement, ce mois a été celui de toutes les Barakas. Comme l'avait prédit ma chouafa préférée. Se réveiller au sobh pour une dose d'amour en est la première.
Et bientôt, demain, une nouvelle inauguration de l'été, une renaissance, un autre début, le bonheur des choses qui ont une valeur.
Vraiment, vive Rebbi.
Wednesday, June 30, 2010
Douar Scouila
Faut me comprendre: je traîne une longue journée de GRrrr et de ARGHHH durant laquelle je me suis retenue ô combien de fois de ne pas crier, de ne pas frapper, de ne pas exploser, de garder la foi. Je dois encore me taper la jolie virée dans le joli train tout blanc. J'arrive à cette charmante gare de Skhirat et voilà que je dois endurer la vue d'ados qui me remplissent de désespoir quant à l'avenir de ce pays. Le problème, c'est que je n'exagère même pas. Ou si j'exagère, c'est que mon pays a bien changé en 12 ans.
Flashback. Le collège/lycée dans lequel j'ai grandi ressemblait à une prison, que ce soit par le bâtiment ou par l'administration. On avait une peur bleue de Si Lmfaddel, le recteur. Nos tabliers étaient boutonnés jusqu'au menton, nos manches bien longues, nos chaussures bien propres, nos jupes jusqu'aux chevilles, notre respect pour les profs, pour l'établissement, infini. On ne savait pas ce que ça voulait dire, traîner devant la porte (jvous jure, les zamis peuvent témoigner). Dar, lmadrassa, w salam. On avait deux heures de libre? Nous voilà à la bibliothèque à faire des adaptations de pièces de théâtre, à lire dans le calme, à faire nos devoirs une seconde après avoir quitté le cours. Le reste du temps, basket, volley, etc.
Le jour où j'ai été "suspendue" de l'école, avec un groupe d'amies -devenues toutes de brillantes ingénieures- c'était car on s'étaient permises de jouer aux cartes dans l'enceinte du lycée (dans la jrida, gentiment et sans bruit). Nous avions pleuré comme des madeleines d'être des fauteuses. En classe, c'était les jeux olympiques. S'il y avait une ou deux kassoulas, c'était une erreur de la nature, elles étaient les meskinates. C'était un problème génétique, ou familial, un divorce, une mort ou quelque chose comme ça. Mes camarades étaient des filles exceptionnelles, autant en physique-chimie qu'en tarbiya nisswiya.
Aujourd'hui, c'est à peine si on ne m'agresse pas à la porte de ces lycées. Les chabab, filles et garçons, se jettent dessus, se lancent des pierres et des mots encore plus nocifs que des pierres. On porte des choses de volumes bizarres, les tabliers sont plus courts que les tee-shirts. Le maquillage ne peut être que bleu ou rouge, les lunettes de soleil jamais sur les yeux mais sur les cheveux, les jeans à une taille en dessous, minimum, garçons compris. Même l'invention appelée cartable n'a plus sa place, la "trousse", je me le demande. Suis vieux jeux, que voulez-vous. Mais ce sont les paroles qui m'assassinent sans pitié. La darija -appelez ARB!- se tient dans leurs palais, sur des béquilles. Les mots sont étranges, les insultes omniprésentes, le contenu inexistant, fa ma balouka bil arabe et français, les deux langues étrangères étudiées. J'essaie d'imaginer quels métiers ils pourraient exercer plus tard, de quels métiers ils rêvent, à part d'être les Alejandro et Peregrina de la future série de 18h. Je vois pas. Piloter des avions? Inventer des vaccins? Militer pour les droits de l'homme? Devenir des athlètes de haut niveau? Devenir des parents de haut niveau? Planter la terre? Mouahahaha (dixit Mimi).
Là, ils auront plusieurs mois de vacants pour apprendre la darija devant la télé et essayer les couleurs des mèches de Maria Mercedes. Mais je parie que les plus contents, ce ne sont pas les élèves, ce sont les profs. Heureux d'être dispensés de certaines têtes pour quelques mois. Débarassés, non, car ils seront de retour, les redoublants. Les autres, les qerraya, cacheront soigneusement leurs relevés de notes à leurs potes, pour pas être exclus du cercle social, comme si c'était devenu une insulte d'être bosseur.
Derrière le dos de tous, des parents dépassés viendront supplier l'agent de sécurité de percer le mur administratif pour eux pour s'enquérir des résultats du petit dernier. Des fonctionnaires peu scrupuleux prendront le temps de voir les relevés de notes, surtout ceux de ceux qui ont réussi. Ils iront frapper aux portes des uns et des autres, annoncant, le visage fermé, qu'ils ont échoué à leurs examens, mais promettant qu'"il y a un espoir", pour récolter quelques billets de la dernière chance, congé oblige.
Gai, Gai, l'écolier...!
Wednesday, June 16, 2010
Aïe technology
J'ai l'impression d'étouffer dans ce Maroc. Ce sentiment est constant, quel que soit l'endroit, la ville, l'occasion.
Ces dix derniers jours, je couvrais le festival de Fès des musiques sacrées. Pareil: peu de plaisir avec les spectacles. L'irritation habituelle aux égards zélés donnés à certains, surtout ceux avec des passeports bordeaux, des égards souvent injustifiés pour certains. La colère de l'amateurisme avec lequel sont gérés tellement d'éléments, dont la sécurité. L'abjection de certains comportements d'un personnel sensé vous faciliter la vie. Le désespoir de voir tant de misère, dans la médina surtout. La vue de tant de vieillards -aveugles, handicapés, séniles- qui devraient être sur les Champs-Elysées fassis à siroter un jus d'orange bien frais, pliés en deux à balayer les rues, vendre des souvenirs -au mieux- ou à mendier péniblement, m'ôte le charme de toute ballade. Ce pays baigne dans la misère. Si elle n'est pas matérielle, elle est humaine, intellectuelle.
Même dans un pays comme l'Ouganda, j'ai été complexée de voir que chaque pâté de cabanes avait son école primaire ET son collège, que des crèches existaient à chaque coin de rue, que le service dans les hôtels et les restaurants était irréprochable, parfait.
Bien entendu, chaque pays a ses problèmes, ses points forts, je ne dis pas le contraire. Mais un Maroc sans misère et avec plus d'enfants dans des écoles comme il faut, qu'est ce que ce serait bien...Avec ou sans festivals cinq étoiles.
Tuesday, March 02, 2010
Match amical
Ce matin, dans le train, je l'ai encore vu. J'étais penchée sur mon bouquin, sponsorisée par la précieuse, l'irremplaçable Sun Li, j'étais bercée par Jobim et Sinatra, l'estomac calé par un ptit-déj inhabituel. Et là, à travers les notes bossa, j'entends le grincement de la porte du wagon. L'hippopotame, dans son costard gris et ses lunettes carrées, avançait vers un des sièges. Lentement, il disparut de mon champ de vision.
Il y a un mois, je monte dans le train, bondé comme d'habitude. Je m'assois au premier fauteuil libre que je trouve, face à deux gentlemen. Le passager de droite, costume gris, chemise blanche, me fait vraiment penser à un hippopotame (apologies to hipos). Tout en lui est volumineux, sa voix est grasse, sa bouche bleue, son regard -assurément séduisant- caché par des lunettes de soleil carrées et complètement opaques. L'homme de gauche, lunettes de vue, chaussures crocos et écharpe stylée, on l'appellera le crocodile, aka Timssa7.
Je me plongeai dans je ne sais quel canard-qui-salit-les-mains, mais la discussion de mes voisins ne tarda pas à me déconcentrer complètement. C'est que les deux compères font tout pour se faire entendre du conducteur du train.
"Bla bla foot bla bla voyage bla bla souvenirs excellents bla bla". J'ai arrêté de lire. Je les ai fixés. J'ai écouté.
Hippo: Ah un match qu'on avait regardé dans un pub irlandais à Londres. Manchester contre Liverpool. Chaque fois que Manchester marquait, on explosait de joie. Chaque fois que Liverpool marquait, re-explosion de joie. Ils ont rien compris. C'était génial!
Croco: Ah j'adore Londres, le shopping, l'ambiance, quelle ville extraordinaire. Je reste toujours au même hôtel; une pension sympathique, décorée avec des bougainvillées.
Hippo: Ah non, faut que je te file l'adresse de mon hôtel, le vrai luxe à 180 £, une merveille! Quelle déco, quel emplacement. Laisse tomber ta petite pension a sahbi!
Moi, Londres, ghadi maji liha, je dois y être allé chi 60 fois. L'Algérie aussi 60 fois.
Croco: Ah non, moi pas à ce point, mais j'y vais dès que je peux.
Hippo: Mais tu devrais y aller plus souvent a sahbi, pour lézaffaires. Ton domaine, les réseaux, c'est en pleine expansion. Y a plein de salons.
Croco: Vrai, vrai...
Et là, Croco se voit perdre 0 à 1 face à Hardy. Alors il tente de se plonger dans le premier quotidien économique du royaume. Page 3: un article sur la marina de Casa. Trop belle l'occase, pour l'hippo, il bondit de tous ses kilos: "aaaah tu devrais acheter un appart là, 28.000 dirhams le mètre carré, c'est un excellent investissement!".
Croco: Ah non, c'est un peu cher.
Hippo: cher? Capital Invest a pris tout un immeuble, peut-être même deux! N'hésite pas, prends!
Croco: wa prends-le, toi.
Hippo: Ah non, moi ma priorité maintenant, c'est la maison de plage. Je viens enfin de trouver le terrain de mes rêves, à Bouznika. Entre deux villas, la première à 6 milliards et la seconde à 7 milliards. Entre les deux, face à la mer: ma future baraque.
Croco est à 0 à 2. Il tente de se ressaisir: Tu n'es pas venu voir ma maison! Je l'ai complètement transformée. J'ai ramené une architecte dont j'avais vu les travaux dans un magazine. J'ai réussi à la joindre. Je suis le premier particulier avec qui elle ait accepté de bosser! Le résultat est simple et sublime!
Hippo : moi aussi j’ai fait refaire ma maison, figure-toi. Et j’ai laissé l’architecte s’occuper même de la déco. Car je me suis dit : si elle l’a imaginée vide, c’est qu’elle doit l’avoir imaginée pleine ! C’est toi qui dois passer me voir d’abord !
Croco : Je passerai inchallah.
3 à 0.
Je me disais que c’était la fin du match. Que nenni. Voilà l’hippo qui rebondit en parlant du nord. « Tu te souviens quand je t’ai croisé à Marina, l’été dernier ? Tu m’avais dit que tu allais passer, tu n’es jamais venu, tu as eu tort ! Ma maison était incroyable. Le golf, la mer, chez moi !
Croco : Wa je n’étais qu’en escale, je suis parti le lendemain pour Puerto Banus, je logeais les pieds dans l’eau, face au port. C’était extraordinaire !
Hippo : c’est trop plein Marbella, je préfère ne plus y mettre les pieds.
Et là, pour la première fois, j’étais heureuse d’entendre la voix délicate annonçant la charmante gare d’Aïn Sbaa. Je pris mes cliques. Croco me lança un : « صدعناك شويا آ لالة؟ »