Friday, October 28, 2011

Mississipi Blues

Kadhafou, les archives

Je n'ai vu aucune photo/vidéo de l'assassinat de Kadhafi. Mon cher et tendre m'a dit qu'il y en avait une où on le montrait avec un bâton dans le cul. On a reproduit sur lui ce qu'il a fait subir à son peuple pendant cette éternité qu'est 40 ans de pouvoir. Il a pompé sans soif, a confondu ses comptes avec ceux du bled, a maintenu le pays dans un coma sans réveil pendant que ses gosses cumulaient yachts et lubies footballistiques. Il l'emportera pas en enfer.
Mon mépris pour Kadhafi tient également au fait que je l'ai vu en personne. C'était en avril 2004 et je vivais à Bruxelles avec Lamia. On était accréditées aux institutions européennes ce qui nous a permis de vivre des moments intéressants à l'époque, entre autres l'élargissement à 25. Berlusconi, Chirac, Blair, Verhofstadt donnaient des conférences de presse auxquelles on se précipitaient jusque tard dans la nuit.
Un jour, lors du brief quotidien de la commission Prodi, on nous apprend que Kadhafi sera bientôt en visite. Nous étions incrédules. Mais bien sûr, le pétrole (et accessoirement la pêche) augmentent la côte du plus infréquentable des tyrans. La rumeur allait bon train à Bruxelles. On disait que le colonel allait installer sa fameuse tente, sa khaima itinérante, dans le parc du Cinquentenaire. Qu'il ramenait avec lui ses fameuses amazones. Qu'il se déplaçait en convoi extraordinaire et que ça faisait belle lurette qu'il n'avait pas visité l'Europe. Le jour J, la salle était sans surprise comble. Devant nous, un Prodi au summum de l'hypocrisie, qui cherchait ses mots pour exprimer la volonté de l'UE d'instaurer une sorte de coopération avec la Libye, jusque-là inexistante, sans avoir l'air du porte-parole de l'ancienne puissance coloniale. Face à lui, un invité complètement absent. Ou shooté. Kadhafi était vêtu d'une gandoura sable, si je me souviens bien, était mal rasé, avec des cernes jusqu'au menton et était entouré de ses femmes gardes du corps. Il commençait une phrase, promptement traduite par l'interprète puis...rien. Il se passait deux, cinq minutes sans qu'il la termine. Prodi était dans l'embarras le plus pur. Les journalistes pouffaient de rire. C'était une plaisanterie européenne.
Entre reporters du monde entier, deux se firent remarquer pendant la conférence-même. Ils étaient à la recherche de femelle journalistique et glissaient à toutes leurs cartes de visite dans les mains en lançant "come visit us tonight". L'un d'eux était le correspondant d'Al Jazeera à Tripoli. Leurs cartes portaient le nom de leur hôtel et le numéro de chambre. C'était peut-être dans la tradition journalistique libyenne. J'ai un seul regret : ne pas leur avoir craché dessus.