Monday, December 15, 2014

Beyond words


Blue grass

J'ai pas de chance. J'ai vraiment pas de chance. Je me suis toujours dit que j'avais pas de chance. Je trouve que les autres étaient toujours mieux nantis que moi. Ils étaient plus forts en maths ( -(2.+8)> -14), ils étaient plus forts en physiques, ils étaient plus doués en sciences, ils couraient plus vite, ils sautaient plus haut, ils marquaient à tous les coups, ils rataient pas leurs smashs, ils volaient à la volée, ils avaient leur permis du premier coup. Ils mangeaient moins, ils poussaient plus, ils étaient plus minces, plus élancés.
Toujours ce poids au-dessus de ma tête. La dernière dans la file d'attente. Le train en retard le jour d'un rendez-vous. Pas le temps pour un brushing le jour de LA réunion importante. Un bouton de fièvre monstrueux le jour de mon mariage. Un tonnerre d'enfer et le déluge le jour de mon mariage, d'ailleurs. Une grève au tribunal le jour de mon mariage, d'ailleurs. La cinquantième patiente chez le médecin. Pas la gueule à sympathiser avec l'assistante ni à la soudoyer. Il doit bien y avoir un truc contre ça. Lire ayate al kourssi 77 fois. Ou al mou3widatayn au réveil et au coucher 33 fois. Ou se verser du sel sur la tête. Ou adopter le feng shui. Ou chebba et al 7armel dans le zip du Fendi jaune canari. Quelque chose pour changer le karma. Pour se sentir fab. Pour ne plus couiner et pleurnicher. C'est bon de dire qu'on n'a pas de chance. C'est rassurant de dire qu'on mérite mieux. Qu'on mérite plus. Hein que je mérite mieux? Que je mérite plus? Ceux qui t'aiment te diront que oui. Voilà la définition de quelqu'un qui vous aime: quelqu'un qui est bien d'accord que vous ayez plus. Ben oui! Légitime, signé, légalisé, approuvé, encouragé. Le beurre, l'argent du beurre et tout ce que vous voulez en supplément. Des cristaux de sel. Du tabasco. Du beurre de cacahuètes. All yours.
Réflexion faite, ce n'est pas le moment de changer, d'être positive. D'être reconnaissante. D'être sensée. Car sinon, que vendrait-on de soi? Comment justifierait-on un blues, une cigarette sur le balcon, une rage irraisonnée et permanente, une gorgée de Gazelle, un besoin de câlins sans occasion, un hangout du bout de la nuit,  un billet acheté à la dernière minute, des mensonges mi-blancs mi-raisin, tous les tons de gris qui font que cet hiver, c'est l'étanchéité de nos coeurs qu'on devrait refaire.