Tuesday, March 02, 2010

Match amical

Ce matin, dans le train, je l'ai encore vu. J'étais penchée sur mon bouquin, sponsorisée par la précieuse, l'irremplaçable Sun Li, j'étais bercée par Jobim et Sinatra, l'estomac calé par un ptit-déj inhabituel. Et là, à travers les notes bossa, j'entends le grincement de la porte du wagon. L'hippopotame, dans son costard gris et ses lunettes carrées, avançait vers un des sièges. Lentement, il disparut de mon champ de vision.
Il y a un mois, je monte dans le train, bondé comme d'habitude. Je m'assois au premier fauteuil libre que je trouve, face à deux gentlemen. Le passager de droite, costume gris, chemise blanche, me fait vraiment penser à un hippopotame (apologies to hipos). Tout en lui est volumineux, sa voix est grasse, sa bouche bleue, son regard -assurément séduisant- caché par des lunettes de soleil carrées et complètement opaques. L'homme de gauche, lunettes de vue, chaussures crocos et écharpe stylée, on l'appellera le crocodile, aka Timssa7.
Je me plongeai dans je ne sais quel canard-qui-salit-les-mains, mais la discussion de mes voisins ne tarda pas à me déconcentrer complètement. C'est que les deux compères font tout pour se faire entendre du conducteur du train.
"Bla bla foot bla bla voyage bla bla souvenirs excellents bla bla". J'ai arrêté de lire. Je les ai fixés. J'ai écouté.
Hippo: Ah un match qu'on avait regardé dans un pub irlandais à Londres. Manchester contre Liverpool. Chaque fois que Manchester marquait, on explosait de joie. Chaque fois que Liverpool marquait, re-explosion de joie. Ils ont rien compris. C'était génial!
Croco: Ah j'adore Londres, le shopping, l'ambiance, quelle ville extraordinaire. Je reste toujours au même hôtel; une pension sympathique, décorée avec des bougainvillées.
Hippo: Ah non, faut que je te file l'adresse de mon hôtel, le vrai luxe à 180 £, une merveille! Quelle déco, quel emplacement. Laisse tomber ta petite pension a sahbi!
Moi, Londres, ghadi maji liha, je dois y être allé chi 60 fois. L'Algérie aussi 60 fois. La Tunisie et la Libye chi 30 fois. J'arrête pas de bouger.
Croco: Ah non, moi pas à ce point, mais j'y vais dès que je peux.
Hippo: Mais tu devrais y aller plus souvent a sahbi, pour lézaffaires. Ton domaine, les réseaux, c'est en pleine expansion. Y a plein de salons.
Croco: Vrai, vrai...
Et là, Croco se voit perdre 0 à 1 face à Hardy. Alors il tente de se plonger dans le premier quotidien économique du royaume. Page 3: un article sur la marina de Casa. Trop belle l'occase, pour l'hippo, il bondit de tous ses kilos: "aaaah tu devrais acheter un appart là, 28.000 dirhams le mètre carré, c'est un excellent investissement!".
Croco: Ah non, c'est un peu cher.
Hippo: cher? Capital Invest a pris tout un immeuble, peut-être même deux! N'hésite pas, prends!
Croco: wa prends-le, toi.
Hippo: Ah non, moi ma priorité maintenant, c'est la maison de plage. Je viens enfin de trouver le terrain de mes rêves, à Bouznika. Entre deux villas, la première à 6 milliards et la seconde à 7 milliards. Entre les deux, face à la mer: ma future baraque.
Croco est à 0 à 2. Il tente de se ressaisir: Tu n'es pas venu voir ma maison! Je l'ai complètement transformée. J'ai ramené une architecte dont j'avais vu les travaux dans un magazine. J'ai réussi à la joindre. Je suis le premier particulier avec qui elle ait accepté de bosser! Le résultat est simple et sublime!

Hippo : moi aussi j’ai fait refaire ma maison, figure-toi. Et j’ai laissé l’architecte s’occuper même de la déco. Car je me suis dit : si elle l’a imaginée vide, c’est qu’elle doit l’avoir imaginée pleine ! C’est toi qui dois passer me voir d’abord !

Croco : Je passerai inchallah.

3 à 0.

Je me disais que c’était la fin du match. Que nenni. Voilà l’hippo qui rebondit en parlant du nord. « Tu te souviens quand je t’ai croisé à Marina, l’été dernier ? Tu m’avais dit que tu allais passer, tu n’es jamais venu, tu as eu tort ! Ma maison était incroyable. Le golf, la mer, chez moi !

Croco : Wa je n’étais qu’en escale, je suis parti le lendemain pour Puerto Banus, je logeais les pieds dans l’eau, face au port. C’était extraordinaire !

Hippo : c’est trop plein Marbella, je préfère ne plus y mettre les pieds.

Et là, pour la première fois, j’étais heureuse d’entendre la voix délicate annonçant la charmante gare d’Aïn Sbaa. Je pris mes cliques. Croco me lança un : « صدعناك شويا آ لالة؟ »

Je traçai direct. Pendant les jours suivants, je pris la voiture.

11 comments:

Mohamed Najib said...

Tout cela et ils voyagent en train au coté de Najlae? tu dois avoir de sacrés nsrfs

Mehdi said...

AAAAAAhhhhhh ! Trois ans & 2 mois de navette, j'en ecrirai des livres, des humains de tous les genres, formes, couleurs et odeurs :)

Hippo & Croco sont gentils, tu as eu de la chance de ne pas entendre qu'ils ont pas acheté un jet privé ou une île deserte ...

Najlae said...

MN> si j'avais eu le choix, je serais allée m'asseoir plus loin w safi...mais j'avais pas le choix!

Mehdi> a333 jte jure j'en ai vu des énergumènes, mais hadou ils étaient vraiment space.

Fays said...

Naj, c'est juste sublime. Les trains sont des mines de trésor. Et crois-moi, pas juste entre Casa et Rabat.

La dernière fois, dans le train, entre Casa et Londres...Oups, j'ai rippé :)

Kifaaach said...

Trés reussi. Tout droit sorti d'un reportage pour National Geographic. Dans cette mare il ya du croco, du hippo et çà débouche sur ain Sbaâ...La mégalomanie est trés répandur dans notre société hélàs. One question: ont ils reconnu la reporter?

Najlae said...

Fays,oulala Monsieur qui prend les trains de prestige :-)

Kifash,me reconnaître? Hahaha

Onassis said...

Ah que ce Maroc me manque :) (lire - ne me manque pas!!)

Najlae said...

Onassis, toi par contre tu nous manques a sahbi

Onassis said...

:) so cute ! C'est réciproque ma chère ! Very...!!

david said...

oui , merci pour les info ,
je ne doute pas d'avoir une descution avec vous.

nicolas-agadir said...

merci pour l'article vraiment il est superb
encour merci