A la poubelle, la Najlae d'avant.
Ca fait des semaines qu'on me demande, plus ou moins gentiment, de jeter un oeil à mes affaires dans les cartons pour faire le tri, ce que je veux garder, ce que je ne veux pas garder. Comme j'étais de mauvaise humeur ce matin, c'était le moment idéal.
D'abord, les livres. Ma grande surprise: finalement beaucoup de livres en arabe. Beaucoup de livres de gosse. Comment ai-je pu survivre sans mon encylopédie des castors juniors, la fameuse compagnie de Riri, Fifi et Loulou (neveux de Donald Duck, pour les ignares). J'ai retrouvé avec plaisir des livres pour enfants importés d'Irak, des merveilles d'éducation, dont mon préféré: "Abou Ahmad wattoumour".
Puis des tiroirs remplis de lettres. Des centaines de lettres. De Marinette. De Hajar. D'anciennes "pen-pals" des States, des cartes de voeux écrites mais jamais envoyées, je ne sais pas pourquoi. Des lettres écrites et jamais postées. Des photos. Beaucoup de photos.
Puis des cartons de cahiers de cours, de classeurs. Des centaines de pages noircies au stylo-encre, des phrases dégoulinant de niaiserie, du type "believe in your dreams", "time is what you make of it", "just do it", des poèmes sur la magie des vagues, sur la liberté, sur l'ailleurs. Des tonnes d'exposés creux, des épreuves de philo en arabe (pas mal après tout, hehe), des quintaux de documents sur le métier de la presse, des coupures de mode, des photos de surf découpées avec précision (et dire que je n'ai de patience pour rien du tout), des dossiers d'articles sur la musique andalouse, la régionalisation, la pub, des thèmes dont je ne me souviens même plus. J'ai halluciné en retrouvant des fiches sur les oeuvres de Diderot, Marivaux, Rousseau, en tombant sur une petite nouvelle que j'avais écrite à 14 ans, des poèmes publiés au lycée, de longs chats avec Dardous, des photos (dont celle de Alaov!), des ébauches d'histoires. Et je me dis: impossible que j'ai été "ça"! Tant de naïeveté, des phrases trop fleur bleue, trop conne pour être sincère, trop émotive pour être vraie.
Alors, à la poubelle les niaiseries. A la poubelle les cours de droit: de la presse, constitutionnel, international, dont je n'ai pas retenu grand-chose. Au feu les posters d'affiches de films, des centaines de fiches de films, des articles sur le Maroc. A l'oubli les béguins d'été, les chagrins, les rêves. On est déjà devenu autre chose, malgré nous. On a déjà pris un autre cap. On a déjà changé. Et oublié. Oublié qu'un moment, on voulait rentrer dans une école de stylisme, ou qu'on ne jurait que par la citoyenneté australienne, ou qu'on chérissait les 3T quitte à importer leur magazine de fans du Koweit! Ou que son cadeau pour ses 16 ans était une paire de rollers. Ou qu'on avait un accord avec le bouquiniste pour acheter les vieux numéros de Première et compléter sa collection. On a oublié qu'on n'est pas né
3ayeq et
fayeq. Qu'on n'est pas né avec du cynisme plein les veines. C'est bien de s'en rappeler. Puis d'avancer.