Wednesday, June 30, 2010

Douar Scouila

Je suis tellement heureuse car, lorsque je sortirai dorénavant de la gare de Skhirat, je ne verrai plus les troupeaux de jeunes à la sortie du lycée du coin.
Faut me comprendre: je traîne une longue journée de GRrrr et de ARGHHH durant laquelle je me suis retenue ô combien de fois de ne pas crier, de ne pas frapper, de ne pas exploser, de garder la foi. Je dois encore me taper la jolie virée dans le joli train tout blanc. J'arrive à cette charmante gare de Skhirat et voilà que je dois endurer la vue d'ados qui me remplissent de désespoir quant à l'avenir de ce pays. Le problème, c'est que je n'exagère même pas. Ou si j'exagère, c'est que mon pays a bien changé en 12 ans.
Flashback. Le collège/lycée dans lequel j'ai grandi ressemblait à une prison, que ce soit par le bâtiment ou par l'administration. On avait une peur bleue de Si Lmfaddel, le recteur. Nos tabliers étaient boutonnés jusqu'au menton, nos manches bien longues, nos chaussures bien propres, nos jupes jusqu'aux chevilles, notre respect pour les profs, pour l'établissement, infini. On ne savait pas ce que ça voulait dire, traîner devant la porte (jvous jure, les zamis peuvent témoigner). Dar, lmadrassa, w salam. On avait deux heures de libre? Nous voilà à la bibliothèque à faire des adaptations de pièces de théâtre, à lire dans le calme, à faire nos devoirs une seconde après avoir quitté le cours. Le reste du temps, basket, volley, etc.
Le jour où j'ai été "suspendue" de l'école, avec un groupe d'amies -devenues toutes de brillantes ingénieures- c'était car on s'étaient permises de jouer aux cartes dans l'enceinte du lycée (dans la jrida, gentiment et sans bruit). Nous avions pleuré comme des madeleines d'être des fauteuses. En classe, c'était les jeux olympiques. S'il y avait une ou deux kassoulas, c'était une erreur de la nature, elles étaient les meskinates. C'était un problème génétique, ou familial, un divorce, une mort ou quelque chose comme ça. Mes camarades étaient des filles exceptionnelles, autant en physique-chimie qu'en tarbiya nisswiya.
Aujourd'hui, c'est à peine si on ne m'agresse pas à la porte de ces lycées. Les chabab, filles et garçons, se jettent dessus, se lancent des pierres et des mots encore plus nocifs que des pierres. On porte des choses de volumes bizarres, les tabliers sont plus courts que les tee-shirts. Le maquillage ne peut être que bleu ou rouge, les lunettes de soleil jamais sur les yeux mais sur les cheveux, les jeans à une taille en dessous, minimum, garçons compris. Même l'invention appelée cartable n'a plus sa place, la "trousse", je me le demande. Suis vieux jeux, que voulez-vous. Mais ce sont les paroles qui m'assassinent sans pitié. La darija -appelez ARB!- se tient dans leurs palais, sur des béquilles. Les mots sont étranges, les insultes omniprésentes, le contenu inexistant, fa ma balouka bil arabe et français, les deux langues étrangères étudiées. J'essaie d'imaginer quels métiers ils pourraient exercer plus tard, de quels métiers ils rêvent, à part d'être les Alejandro et Peregrina de la future série de 18h. Je vois pas. Piloter des avions? Inventer des vaccins? Militer pour les droits de l'homme? Devenir des athlètes de haut niveau? Devenir des parents de haut niveau? Planter la terre? Mouahahaha (dixit Mimi).
Là, ils auront plusieurs mois de vacants pour apprendre la darija devant la télé et essayer les couleurs des mèches de Maria Mercedes. Mais je parie que les plus contents, ce ne sont pas les élèves, ce sont les profs. Heureux d'être dispensés de certaines têtes pour quelques mois. Débarassés, non, car ils seront de retour, les redoublants. Les autres, les qerraya, cacheront soigneusement leurs relevés de notes à leurs potes, pour pas être exclus du cercle social, comme si c'était devenu une insulte d'être bosseur.
Derrière le dos de tous, des parents dépassés viendront supplier l'agent de sécurité de percer le mur administratif pour eux pour s'enquérir des résultats du petit dernier. Des fonctionnaires peu scrupuleux prendront le temps de voir les relevés de notes, surtout ceux de ceux qui ont réussi. Ils iront frapper aux portes des uns et des autres, annoncant, le visage fermé, qu'ils ont échoué à leurs examens, mais promettant qu'"il y a un espoir", pour récolter quelques billets de la dernière chance, congé oblige.
Gai, Gai, l'écolier...!

11 comments:

Anonymous said...

Je témoigne, effectivement. Tout cela est bien triste mais il y a des bons, je t'assure qu'il y a encore des bons.

Mohamed Saïd said...

Yawah, yawah a lalla! Made sraf chi! :D
Pour ma part, qui n'a jamais vécu dans une ambiance aussi studieuse, bien au contraire -ah, ces boulettes jetés aux profs, ces photos de charme sur leur bureau, ces chaises envoyés en l'air... soupir nostalgique - je pense, mais je me trompe peut-être, que la société marocaine est en phase avec une certaine "ambiance" politique de l'époque.
Au temps du précédent règne, c'était discipline, pression, peur, obéissance, presque à tous les niveaux. Là, c'est beaucoup plus "cool", il y a beaucoup moins de pression, moins aussi d'autorité. Tant mieux peut-être, ou tant pis.

Sinon, la deuxième théorie, c'est que Skhirat est devenu Soweto :D

Najlae said...

mais heureusement!!mais on ne doit pas les laaisser se faire happer par une majorité devenue kassoula. ci tout.c'est aux bons de tirer la caravane et elle s'avère bien lourde.

Najlae said...

mohamed Said, l'autorité, c pas pr embêter. regarde ma génération,elle en est pas morte et elle en est pas traumatisée :) tu sais bien que les djeunes ont besoin d'un peu de discipline ma fiha bass..
mon dieu je suis choquée par le scénario que t'as vécu :D

Fankach said...

Cela serait finalement bien monotone s'il n'y avait l'illogisme, car elle existe.. la logique.. celle que défendent cette catégorie ignare qui recherchent le paradis artificiels, des châteaux en ruine.. En état perpétuel d'hallucination.
Ces "Media Pawns" errent dans les champs du snobisme modaleu éloigné de la réalité de la biodiversité humaine). Victimes d'une intoxication à l'échelle planétaire, d'un gigantesque et collectif lavage de cerveau. Ils imaginent qu'ils peuvent tirer quelque chose de leur attroupement cocasse.
L7assoul, maydoum ghir Lm39oul : Nous sommes des malheureucain!

Anonymous said...

Salut ma najlae! Les choses ont changé depuis que vous étiez à ibn sina maati et toi,d'ailleurs on n'en parlait l'autre jour avec lui.Il est très difficile pour moi d'imaginer qu'ibn sina ressemblait à une prison vu que dès qu' j'y ai mi les pieds, j'ai connu des groupes de lycéens rebelles,de filles révoltées à l'idée de mettre leur tablier et dont la présence se limite à suivre les feuilletons lycéens "tbrgig".Du coup, j'ai trouvé ca tout d'abord nouveau pour moi mais ensuite je me suis adaptée et j'ai appris à vivre dans ce lycée "à ma façon"(il y'a des bons comme même).La seule chose dont j'étais sure avant de lire cet article, c'est le grand respect "infini" comme tu dis, pour les profs. Comment? c'est que ton ancienne prof de sport Madame hanane m'a raconté beaucoup de choses sur toi et sur l'ancien ibn sina. Elle t'appréciait beaucoup. Elle m'a dit qu'elle attend toujours la diffusion de "grand angle" pour le plaisir de te voir.D'ailleurs elle te félicite et "katslm 3lik bsaaaaf".J'espère que tu te rappelle d'elle.En tout cas, elle ne t'as jamais oublié.Et je lui ai promis de te passer le message.Quant à moi,je trouve que tu déchires "cousiiiine"ton émission, tes articles, ton blog, tout st super.
Bisou.
Sarah

le cancre said...

J'adore les femmes-prof du sport. J'en avais une qui excellait dans la position du poirier.

Vive Madame Hanane qui porte bien son prénom :)

Amel Boualem said...

Ah tu l'as bien dit, tu es vieux jeu :p

Mais c vrai que la jeunesse d'aujourd'hui est vraiment perdue. Tout dépend du milieu et de la possibilité de partir ou non poursuivre ses études à l'étranger, mais voir les sorties de classes fait peur. Parfois même à la fac, quand tu sais que les bonnes notes ne s'obtiennent pas forcément en bossant, mais on se laissant faire les poches ... quand il y a un pantalon !

Il n'y a que l'avenir qui nous dira, mais une castastrophe est à venir ...

Vive le Maghreb !

Anonymous said...

Très beau texte. Touchant et virevoltant. Celui de la Najlae du temps où elle bloguait en continu. Le talent ne se perd pas :)

Anonymous said...

l'écolier, et d autres petits truques au gout de citron .de plus délicieux que j ai gouté!

Najlae said...

anonyme chef rouge, merci :)

Anonyme AAG, tu t'en souviens encore? :) hamdoullah 3la slamtek men temma