Je regardais tout à l'heure un reportage sur la violence à l'école. C'était parfois très émouvant, surtout lorsque des enfants parlaient de coups assénés par leurs professeurs, sur les mains, les pieds, avec des compas, des bouts de caoutchouc, etc. Ils parlaient aussi de cette torture psychologique dont on maîtrise si bien l'art au Maroc. "7mar, nta ma kateswach", "mkellekh". Yavait une psychologue qui analysait le discours des enfants. Il y en avait un qui disait que le professeur ne le battait que si il faisait une faute grave, qu'il ne comprenait pas quelque chose ou qu'il n'arrivait pas à se souvenir d'une formule, d'un texte.
Moi, je ne me souviens pas d'avoir vraiment pris des coups à l'école, ptêtre 6-10 coups à la
mistara au primaire. Par contre, aucune mémoire, incapable de retenir la moindre ma7fouda. J'avais cette prof, qui s'appelait Miloudia. Elle aimait beaucoup mes essais mais détestait mon inaptitude à garder un vers de poésie en tête. C'était un véritable problème. Chaque semaine, le même topo, elle m'appelle, je me lève, je dis que je ne sais pas, elle me sebben, je me rassois. Un jour, elle me prévint: la semaine prochaine, si je te dis de réciter et que tu ne sais pas, c'est un zéro à l'oral. Je passai toute une soirée à essayer de me concentrer sur le poème "Assa3a", décorée d'un ersatz de dessin d'horloge, je me souviens. Je trouvais le poème insipide et débile. Quelques heures plus tard, à regarder mes orteils et à chanter Ace Of Base, je baissai les bras: il me fallait un plan machiavélique.
Le lendemain, cinq minutes avant le début du cours, je tremblais: j'étais foutue. Je tapais du poing sur la table lorsque j'ai été illuminée: la table! Je recopiai à la hâte ce que je pouvais. Miloudia s'avançait déjà avec son interminable queue de cheval rousse se balançant dans son dos. Deux minutes plus tard, j'entends mon adorable prénom prononcé avec la plus grande des tendresses. Je me lève, penaude. Elle me lance un: "3erdi!". J'hésite puis commence: "3aqaribou assa3a", etc. en lisant mon écriture sur la table, digne d'un médecin russe. Arrivée au deuxième quatrain, Miloudia m'arrête, stupéfaite de mon "accomplissement". Ca tombait bien, je n'avais pas eu le temps de recopier le reste. Ca m'a sauvée cette fois-là, mais j'ai quand-même eu un 3,5 en
tarbia islamia. Heureusement qu'il y avait un 17 en éducation physique. Sacrée éducation.