Et si, après tout, tout moi ne serait pas moi si tu n'avais pas existé dans ma vie?
Je te revois comme une légende, la coiffure coquette, la robe seyante, le chapeau élégant, descendant du bateau à Tanger. C'était en 1921 et tu as quitté ta douce Montpellier pour suivre ton radio-journaliste de mari dans le Maroc sauvage. Tu n'étais ni riche ni belle, mais fine, cultivée et courageuse. Trois ans auparavant, la guerre a arraché de tes bras ta soeur unique, de deux ans ton aînée, qui a succombé à une méchante fièvre et n'a pas pu être soignée.
Tu as adopté le Maroc et le Maroc t'a adoptée. Jamais tu n'as voulu repartir. Malgré les divorces, les re-mariages, les chagrins, les pertes des êtres chers. Et lorsque tes parents ont à leur tour disparu, tu es devenue seule au monde. Ou presque. Mon père est le fils que tu n'as jamais eu. Vos photos en noir et blanc, à dos de bicyclette, traversant le Méchouar chaque matin, allant à la plage.
Moi, je suis dans ta chambre, assise face à toi et tenant la pelote de laine alors que tu files en me racontant des histoires, tes histoires. Et les heures de contes lus à voix haute? Et les maximes de La Fontaine recopiées consciencieusement sur un petit cahier gris? Et les heures à regarder TV5 dans le salon jusqu'à ce que tu t'endormes? Je te réveillerai doucement quand il sera temps pour toi de prendre ton petit roquefort avec du beurre et ton petit yaourt puis de remonter dans "ta tour" peuplée de livres, de souvenirs, de photos et de ce vieux transistor qui grondait la nuit, lorsque Morphée s'obstinait à ne pas te rendre visite. Je te récite des poèmes et tu me répètes pour la énième fois qu'"il ne fait pas faire confiance aux hommes, ils n'obéissent qu'à leurs queues". Tu m'appeles "ma cocotte" et me mouilles les joues deux fois par jour. Je te revois encore te maquiller et te parfumer pour descendre manger.
Allais-tu fêter tes 100 ans? Je te promettais un beau cadeau si tu tenais bon, je te croyais immortelle. Mais tu m'as lâchée quelques semaines avant. J'étais seule avec ton corps lorsque le froid médecin est venu signer le certificat de décès. J'ai pleuré longtemps. Je ne suis pas allée à tes funérailles. Je ne suis jamais allée au cimetière où tu es enterrée. Je ne t'ai jamais enterrée.
Wednesday, October 26, 2005
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7 comments:
Madé ... en voilà un prénom, une histoire et tellement de souvenirs que tu sais partager avec pudeur et sensibilité. ça fait critique littéraire sur les bords, mais c pas grave ... have a nice day :)
Je uis anonyme par necessite mais pas pour longtemps (queques jours encore).
"il ne faut pas faire confiance aux hommes, ils n'obéissent qu'à leurs queues".
Cette petite chose qui s'emballe pour un oui ou pour un nom ... pour un rien ...
Dire que l'homme est esclave d'une chose si bete ...
:)
.it> anonyme par necessite? Laisse-moi rire!
d> critique litteraire? hmm hmm khellik a sahbi f les dossiers politiques,car la,tu es trop subjectif :D
Najlae,
Message codé,
Didn't forget, will tell you Saturday, meeting with some on Friday. Mwah
Najlae,
Mais où est la tangerine? il était de bon ton, dans l'univers anglo-saxon des années 50-60 de prendre pour telle la mandarine... tu me dirais que nous étions, dans le texte, en plein dans les années 20. alors où sont passées ces fissions sémantiques que j'aime à lire dans tes textes. tu peux leur ajouter les anachronismes, ça les rendra encore plus charmants, tes écrits ... bonne soirée,
délicieusement mélancolique
wow...deep thoughts indeed. I like the way you make us travel with your words..I just love reading your essays. I try to picture every single action you describe, every person involved in your plot, the setting...everything.
My two thumbs up:)
truly enjoyed reading it. Keep showering us with your deep thoughts:)
Bonne chance:)
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