Aujourd'hui est ton anniversaire. Ton dixième loin des tiens, dans une
ghorba aux allures de rêve réalisé.
C'est ton anniversaire. Et on a cru, à tort, bon de t'envoyer une vidéo de tes parents avec leurs voeux. Tu te serais bien passé de la vision de ces deux quinquagénaires grimaçant dans leur salle de séjour, exprimant tout le bonheur qu'ils te souhaitent, loin d'eux. Dans leurs sourires, tu as cru voir un commencement de dentier.
Ça t'a fait frémir de dégoût.
Comment ces deux vieux -car il n'y a pas d'autre mot- ont-ils pu être ces dieux de beauté, de prestance et de sveltesse, que tu adulais petit? Il n'y a plus que l'ombre d'une flamme. Celle qui te consume alors que tu appuies sur
replay et que tu scrutes chaque partie de leurs corps, incapable de vraiment écouter ce qu'ils disent. Ce qu'ils te disent.
Ils auraient aimé être là, avec toi, autour d'un bon repas. C'est fou comme vous avez passé de longues années sans vraiment apprécier ces repas ensemble. Et là, tout de suite, on a l'illusion de savoir ce qu'on veut, ce qui nous fait plaisir. Mais le
savent-ils, eux, ce qui nous ferait vraiment heureux?
C'est ton anniversaire et tu as 28 ans. Les gens autour de toi t'aiment. Tu es beau, tu es vivace, tu es accompli, tu es intelligent, tu es serviable. Tu te tiens bien à table. Tu sais choisir les vins sans pour autant en boire. Tu aides tes potes à déménager. Tu t'y connais en hockey sur glace. Tu es bricoleur. Tu es un as du barbecue. Tu aimes ces gens aussi et ils te le rendent bien. Ta boîte
email croule sous les courriers de félicitations. Ta porte s'ouvre toutes les deux minutes et un John, Jack, une
Tiffany ont des petits paquets enrubannés pour toi et des "
many happy returns" plein les dents éclatantes.
C'est ton anniversaire et tu te demandes si tu n'aurais pas mieux fait de rester chez toi, là où tes
viejos vieillissent devant toi, tous les jours un petit peu plus, sans que tu ne le remarques d'une manière aussi foudroyante. Ton meilleur ami, lui, aurait bien voulu voir ses parents vieillir comme ça, lui qui les a perdus ensemble, tout à coup, il y a longtemps. Et toi tu te demandes si ce n'est pas un message, un signe que tu dois y retourner, à côté d'eux. Passer tes prochains anniversaires, et les leurs, à célébrer ces moment ensemble, ou ne rien célébrer mais se regarder, avec les yeux encore ouverts, pendant qu'on est encore là. Toucher la main de l'un, effleurer les lunettes de l'autre, sentir l'odeur de l'un, caresser les cheveux de l'autre.
Mais y retourner pour faire quoi? Un semblant de vie professionnelle pour quelques moments avec tes géniteurs. Un billet d'avion pour une conscience plus tranquille. Sans le sentir, c'est cette dernière que tu te souhaites en soufflant tes bougies.